Un plaidoyer pour une éducation vraiment libératrice
L’école, depuis sa création moderne, s’est voulue le creuset de la connaissance, un lieu où se transmettent des savoirs, des compétences, des normes et des valeurs. Elle est l’institution qui façonne les futurs citoyens et travaille à préparer les enfants à la vie sociale, professionnelle et politique. Pourtant, malgré son rôle fondamental, l’école semble aujourd’hui avoir oublié, ou du moins négligé, trois capacités essentielles à la liberté individuelle et collective : désobéir, douter, et imaginer.
Ces trois verbes, qui sont souvent présentés comme des « transgressions » ou des comportements à réguler, devraient cependant être au cœur de tout projet éducatif authentiquement émancipateur. À travers un examen critique du système scolaire et des fondements philosophiques et pédagogiques, cet article invite à repenser l’école, non comme un lieu d’endoctrinement ou de reproduction sociale, mais comme un espace où s’apprennent la révolte réfléchie, la remise en question permanente et la créativité radicale.
1. L’école et la contrainte de l’ordre : pourquoi désobéir est essentiel ?
L’éducation scolaire s’est historiquement organisée autour de règles strictes, d’une hiérarchie rigide, d’une discipline rigoureuse. L’ordre est vu comme une condition nécessaire à l’apprentissage, et la conformité des élèves à cet ordre est valorisée. Dans ce cadre, la désobéissance est assimilée à une faute, une menace à l’équilibre social, voire à une pathologie comportementale.
Pourtant, désobéir est un acte fondateur de liberté et d’autonomie.
- La désobéissance civique comme moteur de progrès social. De Rosa Parks à Nelson Mandela, en passant par les révoltes étudiantes de Mai 68, la désobéissance à des règles injustes a toujours été un levier d’émancipation. Une école qui n’apprend pas à désobéir – c’est-à-dire à dire non à l’injustice, à la routine absurde, à la hiérarchie abusive – forme des sujets passifs, dociles et dépendants.
- L’apprentissage critique de l’autorité. Désobéir ne signifie pas rejeter l’autorité aveuglément, mais apprendre à l’interroger, la comprendre, et choisir quand s’y soumettre ou non. C’est une compétence civique essentielle dans une démocratie.
- Un moteur de créativité pédagogique. Les élèves qui apprennent à désobéir peuvent aussi inventer, proposer des alternatives, s’émanciper du cadre figé. C’est ce qui nourrit l’innovation éducative.
2. Le doute, une posture intellectuelle à cultiver
Le doute est souvent perçu comme un obstacle à l’apprentissage, voire comme un signe d’incertitude et de faiblesse. Or, il est au contraire la condition même de la pensée critique.
- Le doute est le moteur de la connaissance. Comme le rappelait Descartes, « le doute est le chemin vers la certitude ». En apprenant à douter, les élèves développent leur esprit critique, refusent le dogmatisme et apprennent à ne pas accepter les informations telles qu’elles sont données.
- Un antidote à la pensée unique. Dans un monde saturé d’informations, parfois fausses ou manipulées, apprendre à douter permet aux élèves de naviguer avec discernement.
- Une compétence pour la vie. Douter de manière constructive, c’est aussi savoir gérer l’incertitude, la complexité, la diversité des points de vue. Ce n’est pas être pessimiste, mais être lucide et ouvert.
Malheureusement, l’école valorise souvent la réponse juste, le savoir figé, et pénalise l’expression du doute, qu’il s’agisse d’hésitation ou de remise en question. Ce choix formate des esprits conformistes et fermés.
3. Imaginer : la capacité créative, sacrifiée dans l’école standardisée
L’imagination est fréquemment cantonnée à l’enfance et aux matières artistiques, tandis que les disciplines dites « sérieuses » valorisent la mémoire, la logique, la répétition.
- Imaginer, c’est concevoir de nouvelles réalités. Que ce soit pour résoudre des problèmes, inventer des outils, ou rêver un meilleur avenir, l’imagination est le moteur de l’innovation sociale, technologique et culturelle.
- Une liberté intérieure. L’imagination libère l’esprit des contraintes immédiates, ouvre vers d’autres mondes possibles, nourrit l’empathie et la compréhension des autres.
- Une capacité politique. Imaginer, c’est aussi rêver d’alternatives à l’ordre établi, et ainsi nourrir les utopies nécessaires à toute transformation sociale.
Or, la pression à la performance, les programmes standardisés et l’évaluation normée tuent souvent cette compétence, au profit d’un apprentissage formaté, calibré, où tout est attendu « dans la norme ».
4. Les obstacles institutionnels à l’émancipation
Pourquoi l’école oublie-t-elle ces trois dimensions essentielles ? Plusieurs raisons institutionnelles et idéologiques expliquent ce phénomène :
- La fonction sociale de reproduction. L’école est généralement conçue comme un mécanisme pour reproduire l’ordre social existant, ses hiérarchies et ses normes.
- La peur de la contestation. Encourager la désobéissance ou le doute fait peur à une institution qui cherche avant tout la maîtrise.
- La pression à la réussite chiffrée. Dans une logique de compétition et d’évaluation, la créativité, le questionnement et la remise en cause sont difficilement mesurables et donc peu valorisés.
- Une pédagogie trop autoritaire et transmissive. L’élève est vu comme un réceptacle à remplir, non comme un acteur autonome de son apprentissage.
5. Vers une école libératrice : pistes pour réinventer l’éducation
Pour une école qui libère vraiment, il est urgent de réhabiliter, désobéir, douter et imaginer :
- Des pédagogies actives et critiques. Inciter les débats, les projets collectifs, la prise d’initiative, l’erreur comme apprentissage.
- Former à la citoyenneté critique. Apprendre aux élèves à analyser les normes, les lois, les discours officiels.
- Valoriser les arts, la créativité et l’innovation. Intégrer les activités artistiques et l’imaginaire dans toutes les disciplines.
- Repenser les rapports d’autorité. Passer d’une autorité imposée à une autorité négociée, fondée sur le respect mutuel.
- Faire de l’école un laboratoire de la liberté. Où l’on apprend à penser par soi-même, à agir avec responsabilité, et à rêver ensemble.
L’école d’aujourd’hui, dans beaucoup de ses formes, oublie d’apprendre l’essentiel : la capacité à désobéir pour lutter contre l’injustice, à douter pour ne pas sombrer dans le dogmatisme, et à imaginer pour inventer un meilleur avenir. Pourtant, ces trois vertus sont le socle d’une liberté véritable, individuelle et collective.
Il ne s’agit pas de jeter le bébé avec l’eau du bain, mais de réinterroger nos pratiques éducatives, nos priorités, nos valeurs. Offrir à chaque enfant non seulement des savoirs, mais aussi les armes intellectuelles et morales pour se libérer, agir et rêver.
L’école doit redevenir un lieu d’émancipation, où le savoir ne contraint pas, mais ouvre des possibles. Une école où désobéir, douter, imaginer deviennent autant d’apprentissages fondamentaux, au même titre que lire, écrire et compter.
À lire pour aller plus loin :
- « Éduquer à la désobéissance » – Roland Gori
Un essai qui explore comment l’éducation peut et doit former à la capacité critique et à la contestation nécessaire pour une démocratie vivante. - « La pédagogie des opprimés » – Paulo Freire
Un classique de la pensée pédagogique qui insiste sur l’émancipation par le doute, la réflexion critique et l’action consciente contre les oppressions. - « L’imagination au pouvoir : L’école et la révolution » – Célestin Freinet
Un regard pionnier sur l’importance de l’imagination et de la créativité dans l’éducation pour faire de l’élève un acteur libre et inventif.
