Rééquilibrage alimentaire : l’art de faire un régime sans oser le dire

Sous ses airs de repas sain et serein, le rééquilibrage alimentaire cache souvent un régime qui ne veut pas dire son nom.
Sous ses airs de repas sain et serein, le rééquilibrage alimentaire cache souvent un régime qui ne veut pas dire son nom.

Il fut un temps où l’on faisait un régime. Le mot avait le mérite d’être clair. On mangeait moins, on souffrait un peu, on se privait beaucoup, on montait sur la balance chaque matin avec l’espoir d’un chiffre un peu plus bas. C’était brutal, oui, mais au moins, c’était assumé. Aujourd’hui, on ne fait plus de régime : on “rééquilibre son alimentation”. Une invention linguistique d’une finesse rare, un concept qui fleure bon la psychologie positive et le contrôle social déguisé.

Le rééquilibrage alimentaire, c’est la nouvelle morale du corps.

On n’a plus le droit de dire qu’on veut maigrir, parce que vouloir maigrir serait superficiel, futile, presque honteux. Alors, on prétend “retrouver son équilibre”, “écouter ses sensations”, “réconcilier le corps et l’esprit”. Mais le sous-texte, lui, n’a pas changé : il faut être mince. Parce que dans cette société, l’équilibre, c’est avant tout celui de la silhouette.

C’est un tour de passe-passe lexical qui permet d’habiller le contrôle en bienveillance. On ne fait plus un régime, on prend soin de soi. On ne se prive plus, on “réapprend à manger”. On ne pèse plus sa salade, on “adopte une meilleure hygiène de vie”. Et pour peu qu’on y ajoute une dose de “pleine conscience”, le tour est joué : le régime devient une quête spirituelle.

Mais avant tout, remettons les choses à leur place : tout être vivant a un régime alimentaire.

Le moineau, le chat, la vache, le chêne, et même l’humain. Le régime alimentaire, c’est simplement la manière dont un organisme se nourrit. Il n’y a rien de punitif ni de honteux là-dedans. C’est un fait biologique. Parler de “rééquilibrage alimentaire” revient donc à prétendre qu’on redéfinit un équilibre qui aurait été rompu. En réalité, il s’agit la plupart du temps d’un régime alimentaire à visée amaigrissante, déguisé pour ne pas froisser les oreilles ni l’ego. Un régime qui ne veut pas dire son nom, comme si perdre du poids devait se faire dans le secret, sous couvert de sagesse.

Mais qui parle d’équilibre ?


Ce sont toujours les mêmes. Des femmes. Les mêmes à qui on répète depuis l’adolescence que leur valeur se mesure à leur silhouette, que la minceur est une forme d’hygiène morale, que le ventre plat est la preuve d’une vie bien tenue. Le “rééquilibrage” s’adresse rarement à un homme qui s’enfile un kebab à minuit. Non, il vise la femme qui, après deux grossesses, un travail à plein temps et un mental en surcharge, doit encore trouver le temps de “prendre soin d’elle”.

Car le rééquilibrage n’est pas qu’un mot : c’est une injonction moderne, polie, propre, emballée dans du bien-être. Une forme de discipline intériorisée. On ne vous dit plus “sois mince”, on vous dit “sois équilibrée”. Ce n’est plus un ordre brutal, c’est une douce pression sociale, servie avec le sourire d’une diététicienne influenceuse.

Les magazines féminins, les coachs bienveillants et les comptes Instagram débordent de promesses d’harmonie intérieure et de “meilleure version de soi-même”. En réalité, ils perpétuent la même logique : celle du contrôle permanent du corps. On ne parle plus de privation, mais de “conscience alimentaire”. On ne dit plus “je craque”, mais “je me réaligne”. Derrière le vocabulaire apaisé, c’est toujours la même peur : celle de déborder, de grossir, de se relâcher.

Et puis il y a le discours culpabilisant, celui du “déséquilibre”.


Tu es fatiguée ? C’est ton alimentation.
Tu as pris deux kilos ? C’est ton alimentation.
Tu manques de motivation ? C’est encore ton alimentation.
Tout devient affaire de volonté, de contrôle, de “choix personnels”. Jamais de contexte, jamais de pression sociale, jamais de fatigue ou de charge mentale. Comme si la femme moderne devait tout gérer – enfants, travail, maison – et en plus, surveiller la pureté symbolique de ce qu’elle met dans son assiette.

Le “rééquilibrage alimentaire” est un symptôme de son époque : celle du contrôle permanent déguisé en liberté. On croit se libérer des régimes, mais on s’y enchaîne sous une forme plus subtile. On prétend écouter son corps, mais on continue de le juger. On parle d’amour de soi, mais toujours sous condition de performance.

Alors oui, mangeons mieux, mangeons vivant, mais pas pour mériter notre place dans le monde.
Pas pour ressembler à une image retouchée de santé et de sérénité.
Pas pour être “équilibrée” dans le regard des autres.

Parce que la vraie désobéissance, c’est peut-être de laisser son corps tranquille.

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