Gisèle Halimi : une vie de combats pour la justice, les femmes et la liberté

Gisèle Halimi : une vie de combats pour la justice, les femmes et la liberté
Gisèle Halimi, courage et justice.

« La révolte est un moteur. Elle vous pousse à vivre debout. »
— Gisèle Halimi, Une farouche liberté, 2020

Peu de figures ont, en France, incarné aussi puissamment la défense de la justice et des droits humains que Gisèle Halimi. Avocate, militante féministe, anticolonialiste, écrivaine et députée, elle a traversé tout le XXe siècle en refusant l’injustice, la soumission et le silence. Sa vie est une leçon de courage et de lucidité, portée par une parole libre et intransigeante. Djamila Boupacha, Bobigny, Choisir, les 343… Autant de moments-clefs où Halimi a transformé la plaidoirie en acte politique.

Une enfance marquée par la révolte

Née Zeiza Taïeb le 27 juillet 1927 à La Goulette, dans la banlieue de Tunis, Gisèle Halimi grandit dans une famille juive modeste, profondément patriarcale. Sa naissance, raconte-t-elle dans ses mémoires (Le Lait de l’oranger, Gallimard, 1988), fut vécue comme une déception par ses parents, surtout son père. Dès l’enfance, elle refuse son destin de fille soumise. À dix ans, elle entame une grève de la faim pour pouvoir aller à l’école comme ses frères.

« On m’a faite fille et on m’a condamnée à une condition. J’ai décidé de me défendre. »
Le Lait de l’oranger

La lecture, l’écriture, l’étude deviennent ses armes contre l’assignation à résidence domestique. Elle obtient une bourse pour poursuivre ses études à Paris, où elle entame des études de droit.

L’avocate des opprimés : de Djamila Boupacha à Klaus Croissant

Après sa formation juridique, Gisèle Halimi s’inscrit au barreau de Tunis, puis à celui de Paris. Très tôt, elle s’oriente vers la défense politique. Elle ne veut pas défendre des intérêts, mais des causes. En 1960, elle accepte de défendre Djamila Boupacha, militante du FLN algérien arrêtée, torturée et violée par l’armée française.

« Elle n’a pas seulement été violée : elle a été broyée pour faire un exemple. »
Djamila Boupacha, Gallimard, 1962 (avec Simone de Beauvoir)

Le retentissement est immense. Gisèle Halimi, avec Simone de Beauvoir, transforme l’affaire en procès de la torture coloniale. À travers ce procès, elle dénonce non seulement la violence de l’armée, mais aussi le silence de la République. Elle paiera ce choix de son image publique pendant des années.

Dans les années 1970, elle défend aussi Klaus Croissant, avocat allemand poursuivi pour son soutien à la Fraction Armée Rouge (RAF), revendiquant le droit à une défense équitable pour tous, même les plus controversés. Ce choix suscitera de vives critiques, mais Halimi revendique la justice comme universelle, au-delà des étiquettes.

Une pionnière du féminisme politique et juridique

C’est en 1971 qu’elle entre véritablement dans l’histoire du féminisme français, en participant activement à la rédaction et à la diffusion du Manifeste des 343, publié dans Le Nouvel Observateur.

« Je déclare avoir avorté. Comme nous, des milliers de femmes l’ont fait. »

Avec Simone de Beauvoir, elle fonde alors l’association Choisir la cause des femmes pour défendre les signataires et réclamer une réforme du droit. En 1972, elle devient l’avocate de Marie-Claire Chevalier, une jeune fille de 16 ans ayant avorté après un viol.

Le procès de Bobigny devient une pièce maîtresse de sa stratégie : elle transforme l’audience en tribune pour la légalisation de l’IVG. Sa plaidoirie refuse tout repentir :

« J’aurais honte si cette jeune fille regrettait son geste. Elle a été courageuse. C’est la loi qui est honteuse. »

Ce procès préparera le terrain à la loi Veil de 1975. Gisèle Halimi dira plus tard que ce fut l’un des plus grands combats de sa vie.

Une députée et intellectuelle engagée

Élue députée socialiste en 1981, elle s’efforce de faire entendre la voix des femmes dans un monde politique encore largement masculin. Elle plaide pour l’égalité salariale, le droit à la contraception, la parité politique. Elle quitte l’Assemblée en 1984, refusant de devenir une simple figure décorative.

Elle poursuivra son engagement à travers ses livres : Plaidoiries (Gallimard, 2009), Fritna (Plon, 1999), Une farouche liberté (Grasset, 2020, en dialogue avec Annick Cojean), où elle revient sur ses luttes avec une vigueur intacte à 93 ans.

« Je suis née pour me battre. Et je veux mourir debout, avec mes idées. »

Une parole libre jusqu’au bout

Gisèle Halimi n’a jamais été une femme d’appareil. Elle refuse plusieurs fois la Légion d’honneur, reste critique à l’égard de la tiédeur des partis politiques et du recul des droits des femmes.

« J’ai vu reculer des conquêtes arrachées de haute lutte. Rien n’est jamais acquis pour les femmes. »
Une farouche liberté

Elle meurt le 28 juillet 2020, à l’âge de 93 ans, quelques jours après son anniversaire. Sa disparition suscite une émotion nationale. En 2023, une proposition est faite pour son entrée au Panthéon, qui n’a pas encore abouti.

Héritage et actualité d’un combat

En 2024 encore, ses combats résonnent avec force. La question du droit à l’IVG, inscrite dans la Constitution française en 2024, rappelle que rien n’est jamais définitivement gagné. L’engagement de Gisèle Halimi demeure un exemple pour les nouvelles générations de militantes et d’avocat·es.

De nombreuses associations et collectifs féministes se réclament aujourd’hui de son héritage intellectuel et militant. Plusieurs établissements scolaires, bibliothèques, et centres d’archives ont été renommés en son honneur.

« Ce que je souhaite, ce n’est pas qu’on me célèbre, c’est qu’on continue à se battre. »

Bibliographie sélective

  • Gisèle Halimi, Le Lait de l’oranger, Gallimard, 1988
  • Gisèle Halimi, Plaidoiries, Gallimard, 2009
  • Gisèle Halimi et Annick Cojean, Une farouche liberté, Grasset, 2020
  • Simone de Beauvoir & Gisèle Halimi, Djamila Boupacha, Gallimard, 1962
  • Les procès de Gisèle Halimi, INA Archives, entretiens télévisés (1960–2000)

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