Robert Badinter entre aujourd’hui au Panthéon. Pas comme un héros figé, mais comme une conscience vivante. De l’enfant juif caché pendant la guerre à l’avocat des condamnés, du ministre qui abolit la peine de mort à l’intellectuel qui défendit jusqu’au bout la dignité humaine, sa vie tout entière fut une insurrection morale. Entrer dans son héritage, c’est comprendre qu’en République, la justice n’est jamais un pouvoir : c’est un devoir envers l’homme.
Un humanisme né de la tragédie
Robert Badinter n’a jamais séparé la justice de la mémoire. Né d’un père juif déporté et assassiné à Sobibor, il porte dès l’enfance la marque d’une tragédie collective. Ce n’est pas un hasard si toute son œuvre d’homme public sera guidée par une seule exigence : réparer, comprendre, rendre à l’humain sa place face à la barbarie. Ce n’était pas de la politique, mais une fidélité : à son père, à l’histoire, à l’idée que la France doit rester fidèle à la justice et non à la vengeance.
L’avocat face à l’injustice
Avant d’être ministre, Robert Badinter fut un avocat. Un vrai, de ceux qui refusent de céder à la foule, de ceux qui se lèvent quand tout le monde détourne le regard. Il a défendu des causes difficiles, des hommes rejetés, parfois haïs. Dans les années 1970, il affronte le système judiciaire au nom d’un principe simple : aucun État ne peut se prétendre juste s’il tue. Derrière la toge, il y avait l’indignation, la colère froide, mais aussi une tendresse profonde pour la fragilité humaine. C’est ce regard-là qui fit trembler les murs des prétoires.
Le ministre qui a changé la justice
Devenu garde des Sceaux en 1981, il abolit la peine de mort, bien sûr. Mais limiter son action à ce combat serait réduire l’homme à un symbole. Badinter a profondément réformé la justice pénale, défendu l’indépendance des magistrats, amélioré la condition carcérale et inscrit la dignité comme pilier du droit. Son passage au gouvernement, marqué par une exigence de vérité et de cohérence, laissa une trace durable : celle d’un ministre qui mit la morale au-dessus du calcul.
L’héritage et la mémoire d’un homme libre
Après avoir quitté la vie politique, Robert Badinter continua d’écrire, de plaider, de parler. Ses interventions au Sénat, ses livres et ses prises de position furent autant d’actes de résistance intellectuelle. Il combattit toutes les régressions : la xénophobie, la tentation sécuritaire, la dérive autoritaire des démocraties. Toujours avec la même élégance, le même calme, la même foi dans la raison. Être libre, disait-il, c’est ne jamais renoncer à dire non.
L’esprit de Robert Badinter aujourd’hui
Son entrée au Panthéon n’est pas un hommage au passé, mais une question posée au présent. Qu’avons-nous fait de la justice, de la dignité, de la fraternité ? Badinter nous laisse une injonction silencieuse : penser, douter, s’indigner. Dans un monde dans lequel la haine se déguise en opinion, son exigence de vérité demeure une lumière rare. Il n’a pas seulement aboli la peine de mort ; il a rappelé que la République, pour être digne d’elle-même, doit toujours préférer l’homme à la peur.
À lire pour aller plus loin
- L’Abolition (1981) – Le témoignage essentiel de Robert Badinter sur son combat contre la peine de mort.
- Idiss (2018) – Un récit intime et bouleversant dédié à sa grand-mère, figure de l’exil et de la dignité.
- Contre la peine de mort (2000) – Une réflexion plus large sur la justice, la barbarie et la valeur de la vie humaine.
- Libres et égaux. L’émancipation des Juifs sous la Révolution française (1989) – Une plongée dans l’histoire de la liberté et de l’égalité, au cœur de ses convictions.
- Ses discours au Sénat (1986–2011) – Un concentré d’humanisme, de rigueur et de courage politique.

